
En ces temps de crise sanitaire et économique, et dans le cadre de la préparation d’un n° spécial de B.R.A. Tendances Restauration sur les conséquences du Covid-19, nous publions en ligne une série de témoignages d’experts, de dirigeants et d’acteurs du secteur. Sentiment général, actions mises en place, avis et conseils : la restauration commerciale et son univers se livrent via notre magazine professionnel national. Propos recueillis par Didier Thomas-Radux et Anthony Thiriet
>> Aujourd’hui, échange avec… Didier Chenet, président du Groupement National des Indépendants (GNI) [interview réalisée le 19 novembre, à paraître dans le magazine de décembre]
● Pouvez-vous résumer votre parcours et nous rappeler ce qu’est le GNI?
Didier Chenet : J’ai toujours voulu être entrepreneur. J’ai rejoint Sodexo dans les années 80 où j’ai rencontré Pierre Belon. Je lui ai racheté l’enseigne OH ! Poivrier, alors confidentielle, en 1993; que j’ai dirigée jusqu’en 2007. En 2004, j’ai été porté à la présidence du Synhorcat. 10 ans plus tard, je suis devenu président du Groupement National des Indépendants (GNI), fruit de la fusion entre le Synhorcat, la Faghit, le Conseil des Territoires et une partie du CPIH. Je préside encore le GNI, seule organisation professionnelle totalement et véritablement indépendante au service des CHR, mais aussi des traiteurs organisateurs de réception et des établissements de nuit, qui ne cesse de se renforcer sur le territoire national.
● Quels étaient vos chantiers avant la crise du Covid-19, et ont-ils évolué depuis mars?
D.C. : La profession était déjà en convalescence avant l’arrivée de cette crise. Nous travaillions toutefois aussi sur des sujets d’avenir comme la digitalisation et le développement durable, notamment sur une filière de valorisation des déchets des CHR. Depuis mars, nous poursuivons notre objectif majeur: aider les professionnels à exploiter le mieux possible leurs établissements. Comme toute crise, celle-ci est à la fois destructrice et accélératrice de business, car elle oblige le secteur à se demander ce qu’il faut faire pour éviter la fermeture définitive, donc à travailler sur l’après. Les valeurs durables sont donc plus que jamais à l’honneur : les produits de saison, les circuits courts, le bio, mais aussi la RSE ou encore le digital.
Le 13 novembre, je discutais avec Bruno Le Maire de la création d’un portail digital sur lequel seraient référencés l’ensemble des restaurants volontaires, avec leurs services. Il semble nécessaire de lancer une telle plateforme de marché regroupant les offres de tous les commerces de proximité, dont les restaurateurs proposant la livraison. La situation met en exergue l’importance de la distribution digitale, et le retard qu’a la France dans ce domaine stratégique, dont les principaux acteurs sont étrangers. Nos produits ne pourraient-ils pas être distribués par des sociétés françaises?
« Comme toute crise, celle-ci est à la fois destructrice et accélératrice de business, car elle oblige le secteur à travailler sur l’après » Didier Chenet
● Comment, selon vous, les restaurateurs vivent-ils cette période?
D.C. : S’il y a une profession en France qui fait preuve de résilience, c’est bien la restauration! Les restaurateurs ont supporté les attentats de 2015 où ils ont été les premières cibles, les manifestations des Gilets jaunes, les grèves… Ils ont tout encaissé. Le confinement leur est arrivé en pleine face, et à ce moment ils ont donné leurs stocks, puis apporté de la nourriture aux soignants, et même mis leurs hôtels à disposition. Ils ont rouvert en juin avec des normes sanitaires drastiques, qui ont été même renforcées et ont entraîné une restriction de 30 à 50% de leurs capacités d’accueil. Ils ont ensuite dû refermer et se mettre à la VAE et à la livraison. Et pourtant, ils sont toujours debout et ils se battent…
● Il y a toutefois des prises de parole dures et des manifestations. Qui le gouvernement doit-il écouter?
D.C. : Ces manifestations sont toujours dignes, et les règles sanitaires y sont respectées. À Toulouse ou à Nantes, les restaurateurs ont mis en scène avec force leurs angoisses. Les chefs doivent user de leur pouvoir médiatique: ils peuvent porter la colère de la profession et leurs inquiétudes pour faire avancer les choses. Mais ils n’ont pas le pouvoir de négocier; ça, c’est notre travail, du fait de notre représentativité. Si le GNI était traditionnellement l’organisation des plus grands établissements, d’autres segments les ont rejoints. L’enquête de représentativité qui est en cours prouvera le

développement de notre organisation, qui concerne aujourd’hui 30% de la profession. Nous avons un peu repris le rôle de porte-voix qu’a su incarner André Daguin à l’époque. Au GNI, on pense qu’il faut avoir un discours clair.
● Cela signifie-t-il que vous êtes en rupture avec d’autres organisations?
D.C. : Je suis pour un langage de vérité. J’ai expliqué à mes membres que tenir un discours sous le seul angle sanitaire, en exigeant la réouverture des établissements coûte que coûte, ce n’est pas possible, et ça ne fonctionne pas. En revanche, exiger du gouvernement de la visibilité sur la durée de la fermeture et sur les mesures d’accompagnement, ça c’est indispensable et urgent. Mon souci, c’est de guider les professionnels vers ce qu’il y a de mieux pour eux au regard du contexte actuel. Et ce n’est pas de rouvrir à tout prix avec une activité plus que dégradée, et encore moins aller en justice contester les décisions des gens avec qui nous négocions.
« Nous avons eu des assurances sur les conditions dans lesquelles nous serons soutenus jusqu’à la réouverture » Didier Chenet
● Avez-vous pu avoir ce langage de vérité avec le ministre de l’Économie?
D.C. : La réunion du 16 novembre était très importante, et un principe de confidentialité des échanges a d’emblée été posé. Je suis fils de militaire, j’ai l’habitude de respecter la parole donnée. Mais nous avons exigé de connaître officiellement à quelle date nous pourrons espérer ouvrir, et dans quelles conditions nous serons soutenus d’ici là. Ces échanges ont été fructueux, mais rien ne pourra être officialisé avant le 24 ou le 26 novembre, lorsque le Président et le gouvernement annonceront ce qui a été arrêté. Dans ces moments difficiles, on ne peut pas prendre le risque de rompre la confiance qui permet de travailler ensemble pour la survie des établissements. Nous travaillons sur de vraies indemnisations, à hauteur

des dommages financiers ; car nous considérons qu’elles sont pour l’heure insuffisantes. Nous nous positionnons clairement sur le terrain de l’indemnisation, et nous avons obtenu certaines assurances de l’État à ce sujet.
● Quels sont les autres sujets clés, aujourd’hui, pour le secteur?
D.C. : Il y a 3 points sur lesquels nous avons échangé avec le gouvernement :
¤ Les loyers, qui pèsent sur sur la totalité des acteurs des CHR, traiteurs et discothèques, et pour lesquels nous demandions un moratoire, en échange d’un avantage fiscal pour le bailleur. Le gouvernement l’accordera sur novembre, et peut-être décembre ; nous le demandons pour 6 mois.
¤ Le fait de permettre aux entreprises de mettre leurs salariés non pas au chômage partiel, mais en congés payés, afin de purger ces congés qui risquent sinon de peser dangereusement à la reprise.
¤ Le Fonds de solidarité, avec le constat que de nombreuses entreprises n’y sont pas éligibles. Il doit offrir à tous les CHR 2 options, sans seuil d’effectifs: une indemnisation de 10 000 € qui est une sorte de plancher pour les petites structures, ou une indemnisation à hauteur de 15 % du CA mensuel.
● La saison d’hiver est-elle compromise? Et quid du récent sondage annonçant un risque de faillites très élevé?
D.C. : Pour la réouverture, les réponses viendront le 24 ou le 26 novembre. Les plus pressés peuvent embaucher, quitte à mettre ensuite le personnel au chômage. Ce que j’entends, c’est qu’en décembre il y a la date fatidique du réveillon du 31 décembre qui fait peur à tout le monde. Le gouvernement a promis de la visibilité lors de ses prochaines annonces, et nous avons exigé qu’elle porte sur la date à laquelle nous pourrons rouvrir, ainsi que sur les mesures d’aide à hauteur de nos pertes. Concernant la suite, et le sondage réalisé par le GNI et 3 autres syndicats professionnels: 65,8 % des 6 600 professionnels interrogés ont en effet répondu que ce 2e confinement mettait gravement en danger la pérennité de leur entreprise. Il y a donc le feu!
Interview offerte à tous, à retrouver dans B.R.A. n°414 « Spécial Covid » (déc. 2020).
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