
En ces temps de crise sanitaire et économique, et dans le cadre de la préparation d’un n° spécial de B.R.A. Tendances Restauration sur les conséquences du Covid-19, nous publions en ligne une série de témoignages d’experts, de dirigeants et d’acteurs du secteur. Sentiment général, actions mises en place, avis et conseils : la restauration commerciale et son univers se livrent via notre magazine professionnel national. Propos recueillis par Anthony Thiriet et Christelle Reynaud
>> Aujourd’hui, échange avec… Jean-Charles Ruggia, propriétaire du Maddie’s à La Seyne-sur-Mer (83), président du GNI Sud-PACA.
● Pouvez-vous vous introduire et présenter votre établissement?
Jean-Charles Ruggia : J’ai 60 ans, je suis propriétaire du restaurant Maddie’s à La Seyne-sur-Mer (83), situé en zone industrielle, à 6 km de Toulon. Après une carrière dans l’administration, j’ai choisi de reprendre cet établissement, il y a 2 ans, avec mon fils, qui en est le chef de cuisine. À ses côtés, l’équipe de 8 personnes est, entre autres, composée d’un pâtissier et d’une directrice de salle. Au service comme en cuisine, le personnel expérimenté attache une grande importance à la satisfaction du client. Cette brasserie moderne, conviviale et décontractée à l’ambiance zen propose une cuisine française, avec une carte renouvelée tous les 3 mois, en plus du plat du jour et des suggestions. Nous misons sur la qualité et l’originalité des mets, réalisés avec des produits frais. Tout est fait maison, desserts compris. Quant à la clientèle, elle est composée à 90% de chefs d’entreprises, commerciaux et employés de la zone d’activité. Les autres clients sont des résidents locaux et des touristes. Le Maddie’s fonctionne 6/7 jours au déjeuner, et sur réservation pour les groupes en soirée. Nous réalisons, en temps normal, quelque 90 couverts/jour, avec des pics en fin de semaine. Mais la crise sanitaire s’est abattue brusquement…
« Seul un radical changement de cap pourrait donner une chance à notre secteur « Jean-Charles Ruggia
● Comment avez-vous vécu cette année si particulière?
J-C.R : Cette crise sans précédent va nous faire perdre 60 % de CA en 2020. La seule solution était de s’adapter. Dès le 1er confinement, nous avons opté pour la VAE de plats traditionnels et originaux, et de desserts bien élaborés ; en misant sur un bon rapport qualité-prix. La clientèle a d’emblée apprécié le service, et elle s’efforce d’y rester fidèle. Toutefois, en raison de notre implantation en zone industrielle, la majorité des clients se retrouve en télétravail ou au chômage partiel. Aussi, pour gagner en attractivité et visibilité, nous avons renforcé notre présence quotidienne sur les réseaux sociaux en postant, notamment, de nombreuses photos de plats. Une nécessité absolue!
● Pensez-vous que le secteur a été assez soutenu par l’État?
J-C.R : Les aides de l’État, à l’instar du PGE, ne sont pas adaptées à nos entreprises. Nous avons dû nous endetter pour essayer d’affronter les mois de fermeture. La reprise devait avoir lieu avant l’été, mais fort est de constater qu’elle est loin d’être là ! Et dans cet alarmant contexte, il faut continuer à faire face aux échéances de remboursement, tout en étant reconfinés… Le problème des loyers, pour les bailleurs privés, n’a jamais été réglé et ce n’est pas l’incitation fiscale de 50% qui fera avancer la question. Toutes les charges auraient dû être annulées et non reportées. J’ai réellement l’impression que l’administration française et les technocrates ne connaissent pas le fonctionnement de nos entreprises. Nous avions pourtant bien demandé que soit appliqué le principe du « zéro CA = zéro charge ». Nous sommes devenus des victimes collatérales de cette terrible situation.
Heureusement, les syndicats professionnels étaient là. Ils ont joué un très important rôle de négociateurs, au plus haut niveau de l’État, en exprimant notre situation et nos besoins face à la crise. Ils ont contribué à informer largement les professionnels, via un usage massif des réseaux sociaux et des e-mails, en rendant rendu l’information lisible et compréhensible. Leurs enquêtes ont permis de réaliser des états des lieux précis face à la crise.
● Quel est aujourd’hui votre état d’esprit général face à cette crise?
J-C. R : L’année 2020 va laisser des traces désastreuses dans la profession! Les dirigeants, cuisiniers, employés sont très, très inquiets. Nous sommes tous dans la même galère et si le naufrage se produit, il n’épargnera personne. Le secteur a pu faire face à la crise, en étant solidaire et en continuant à travailler, sans se payer. Pour préserver les entreprises, certains ont sacrifié leurs fonds et biens propres. La branche professionnelle est proche de s’effondrer. De très nombreux dirigeants vont déposer le bilan, alors que certains pensent que tout va repartir simplement, dès la réouverture des restaurants, que tout va repartir comme avant. Il est clair qu’un choix politique a été fait par nos dirigeants ; ils devront l’assumer jusqu’au bout. Sans être fataliste, je pense qu’il est trop tard pour se poser la question : Comment sauver les entreprises ? Car bon nombre sont déjà en phase terminale. Seul un radical changement de cap pourrait donner une chance à notre secteur de mieux s’en sortir : il faudrait mettre, sur le même pied d’égalité, l’intérêt économique et l’intérêt de santé publique.
● Quel dernier message ou conseil souhaitez-vous adresser au secteur?
J-C.R : Par manque de visibilité quant à la reprise, nos projets de développement sont en stand-by. Toutefois, il est certain que nous sommes face à un nouveau modèle économique. Avant de s’engager, il importe de bien en comprendre les enjeux. Il faut analyser les tendances, accepter l’idée que la restauration peut fonctionner différemment, et exploiter des initiatives pour rebondir (commandes en ligne, livraisons, dark kitchens…), tout en restant à l’écoute des clients. Je crois aussi qu’il importe plus que jamais de jouer la carte de la solidarité et de continuer à faire entendre notre voix, tout en espérant des jours meilleurs. Nos fournisseurs et distributeurs sont de tout cœur à nos côtés. Il est indéniable qu’ils participent grandement à la vitalité des métiers du tourisme. Et c’est bel et bien ce monde du tourisme qui contribue à faire connaître la France, sur le plan international. Aussi, il est inconcevable qu’il subisse un demi-traitement, même par temps de crise.
Interview offerte à tous, à retrouver dans B.R.A. n°414 « Spécial Covid » (déc. 2020).
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