
En ces temps de crise sanitaire et économique, et dans le cadre de la préparation d’un n° spécial de B.R.A. Tendances Restauration sur les conséquences du Covid-19, nous publions en ligne une série de témoignages d’experts, de dirigeants et d’acteurs du secteur. Sentiment général, actions mises en place, avis et conseils : la restauration commerciale et son univers se livrent via notre magazine professionnel national. Propos recueillis par Anthony Thiriet
>> Aujourd’hui, échange avec… Pascal Mousset, dirigeant de 5 restaurants à Paris, réunis sous le pavillon Les Tables Mousset.
● Pouvez-vous vous introduire et présenter vos établissements?
Pascal Mousset : J’ai 56 ans, je suis d’origine aveyronnaise, mes grands-parents étaient hôteliers et mes parents bistrotiers. Après un BTS à Saint-Quentin-en-Yvelines, j’ai eu pour mentor Jean-Paul Bucher, fondateur du Groupe Flo. J’ai notamment dirigé une Brasserie Flo et La Coupole, et géré le restaurant du Sénat pendant 15 ans. Je possède aujourd’hui 5 restaurants traditionnels à Paris, sous le pavillon Les Tables Mousset. Nos valeurs sont la convivialité, l’authenticité et les traditions. Chez Françoise est une brasserie de 250 places fondée en 1949, située aux Invalides (Paris 7e), labélisée Maître Restaurateur ; elle accueille 350 clients par jour, avec un TM à 50€. Au Petit Marguery, ce sont 2 bistrots chics à Paris 17e et Paris 13e qui proposent une cuisine bourgeoise traditionnelle (ris de veau, soufflés…), et accueillent chacun quelque 150 clients par jour, avec un TM de 50€. Avec 38 places assises, Le Comptoir Marguery est un bistro typique servant une cuisine familiale, avec un TM plus modéré, à 30€. Enfin, La Marée est un restaurant de poisson à Paris 8e, fondé en 1963, qui sert 100 clients par jour pour une addition moyenne de 70€. En parallèle de ces 5 restaurants, je préside la branche Restauration du GNI Paris Île-de-France depuis 2019.
● Comment avez-vous vécu cette année 2020?
P.M. : Le bilan est catastrophique : 30 années de labeur et de bonheur sont remises en question ! Nous perdrons 70% de CA cette année. Nous avons dû nous adapter rapidement, en réduisant notamment les frais fixes. Nous nous sommes séparés d’environ 15% de nos employés (fin de période d’essai ou licenciement économique). Dès avril, nous avons ouvert une boutique en ligne pour promouvoir la VAE de chaque restaurant, que nous avons organisée façon dark kitchen: 1 cuisine de production pour les 5 adresses. Nous avons maintenu nos liens avec les clients via des e-mails et nos réseaux sociaux. Nos offres sont réduites depuis mai, en renforçant 2 de nos engagements : défendre l’agriculture française et respecter les saisons. Les confinements nous ont permis de prendre attache avec des producteurs d’Île-de-France et d’intensifier notre politique RSE. Ce qui nous fait vraiment plaisir, c’est que les clients habitués nous témoignent beaucoup d’affection et de soutien ; ce qui est essentiel pour le moral de nos équipes. Ils ont aussi préacheté des menus pendant le confinement, et étaient présents dès nos réouvertures.
« 30 années de labeur et de bonheur sont remises en question » Pascal Mousset
● Quel bilan dressez-vous au sujet des aides et accompagnements?
P.M. : Si les aides de l’État ont été très efficaces pour le 1er confinement, il y a de grands trous dans la raquette aujourd’hui: des seuils restreignent l’accès aux aides, ce qui m’exclut du Fonds de Solidarité avec 90 salariés. En outre, les bailleurs exigent le paiement des loyers, les congés payés s’accumulent… Comment y faire face autrement que par l’endettement? Or s’endetter pour s’acquitter des charges courantes est un non-sens économique! Depuis mars, les syndicats nous accompagnent, nous informent et nous défendent sans relâche. L’unité du métier face à la crise est une bonne chose et la condition indispensable pour être entendus par les pouvoirs publics.
● Comment, selon vous, la restauration fait-elle face à cette crise?
P.M. : Notre secteur est très divers. Les acteurs qui ont par nature une clientèle locale et sont situés en hors des grandes métropoles sont les moins impactés ; ceux qui sont à Paris, avec une clientèle surtout liée au tourisme ou à l’événementiel auront du mal à s’en sortir si cette crise dure jusqu’à l’été 2021. Le secteur s’adapte, et ceux dont le produit était déjà VAE-compatible gagnent des points. Mais n’oublions jamais l’essence de notre activité: la convivialité et le partage. Un restaurant, ce n’est pas juste un lieu où l’on mange ; il a un rôle social et nourrit l’esprit. J’ajouterais que l’injustice majeure de cette crise, c’est qu’elle touche plus intensément les meilleurs professionnels du secteur : la grande gastronomie, les grands traiteurs, la bistronomie pointue… Ils ont par nature des activités qui génèrent moins de marge, et sont liés au tourisme. Mais les échanges que j’ai pu nourrir avec d’autres dirigeants m’ont fait toucher du doigt 2 réalités : la restauration est une grande famille où préside une fraternité sincère, avec des problématiques communes ; et cette crise touche aussi intensément les grands que les petits acteurs. L’avenir est difficile à envisager: nous n’avons aucune visibilité tant que cette crise sanitaire paralyse nos projets. Tous le secteur est en mode survie, avec une dette qui s’accroît chaque matin…
● Comment envisagez-vous l’avenir, et quels messages souhaitez-vous adresser au secteur?
P.M. : Face à cette pandémie qui dure, j’aimerais que nous soyons moins résignés et confinés, et plus pro-actifs : nous devons apprendre à vivre avec le virus. Il faut que les pouvoirs publics nous fassent confiance et qu’ils ne ferment que les entreprises ne respectant pas les protocoles. Ce n’est pas parce certains font des excès de vitesse que toutes les voitures sont interdites de rouler ! L’espoir que je nourris, pour les semaines à venir, c’est que nous allumions la lumière de nos restaurants, et que la vie reprenne le dessus ; afin d’éviter des fermetures en masse. Quant à mes messages, les voici :
¤ Pour le gouvernement : «Vous nous avez écoutés, maintenant il faut nous entendre ! La justice serait que nous partagions collectivement le coût de cette crise. Nos métiers sont faits de passion et de travail. Pour soutenir cette valeur travail, exigez des bailleurs et grands opérateurs de l’énergie et de la téléphonie qu’ils participent aux pertes engendrés par les fermetures administratives. Il faut aussi corréler les loyers 2020-2021 à l’activité réelle, et trouver une solution à la dette que représente les congés payés acquis pendant l’activité partielle.»
¤ Pour les fournisseurs, distributeurs et producteurs : «Nous avons besoin de vous, unissez-vous à nos actions pour défendre notre art de vivre!»
¤ Pour mes confrères les restaurateurs : «Il faut garder espoir et se battre, ne rien lâcher! Ensemble, nous sommes plus forts! Et si vous ne trouvez plus de solution face à vos échéances, n’hésitez pas à vous faire accompagner par le Tribunal de commerce: des procédures confidentielles permettent de sauver les entreprises.»
Interview offerte à tous, à retrouver dans B.R.A. n°414 « Spécial Covid » (déc. 2020).
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